Le possible a ses limites qui ne sont que trop connues, martelées par ceux qui y tiennent. Celles de l’impossible n’ont cesse, elles, d’être repoussées. Après avoir conquis les sommets enneigés, les profondeurs océaniques, la surface lunaire, voilà qu’on repart déjà pour Mars.
L’impossible n’a pas de limites. Il n’est pas ce qu’on peut définir, encadrer, empaqueter. Si l’on sait où il commence, nul ne peut dire où celui-ci s’arrête. Tout le monde connaît son nom, mais nul ne le connaît vraiment. Il est de cet ami qu’on fuit ou qu’on frôle, qu’on suit ou qu’on rigole. Sans lui, point de grands hommes, explorateurs, inventeurs, découvreurs. Sans lui, point de visions, de soleils, d’horizons.
En un siècle seulement, tant d’impossibles ne le sont plus. Icare se retourne dans le ciel, Jules Verne se repent sous les mers. En cent ans, un record de records, des limites sans limite. Si seulement. Je suis prêt à attendre cent ans encore, mille ans et même plus, pour voir l’impossible s’évanouir. Pour que le cœur l’emporte sur la raison, pour que la raison réponde au cœur, le temps ne compte pas. L’impossible n’a pas de limites, il n’en a jamais eu. Jusqu’à aujourd’hui.
D’un seul coup, mon cœur s’est arrêté. D’un seul trait, mon âme d’enfant s’est enrayée. D’un seul instant, l’éternité s’est imposée. Soudainement, sourdement, silencieusement, les limites de l’impossible se sont révélées.
Pas que je ne croie plus aux miracles. Pas que j’aie cessé d’aimer. Ni non plus d’espérer. La route est belle, parsemée, fleurie, heureuse. Le chemin est chaque fois nouveau, merveilleux, enchanté. Les découvertes incessantes, radieuses, illuminantes. Et pourtant… Tandis que se ravit la vie, tandis que chante le cœur empathique, pointe une frontière, une impasse. Tel un chemin sans issue, voie à sens unique. Un endroit lugubre d’où l’on ne revient pas, d’où la marche arrière n’est plus une option. Trop tard, osera-t-on aux enfants du monde qui demanderont.
Voilà juste cinq ans, voilà à peine deux milles jours, voilà pas cinquante milles heures. Une si petite seconde sur l’échelle de l’éternité, un si bref instant à celle de l’humanité. Parce qu’on ne savait pas comment faire, on a osé faire. Parce qu’on n’y avait pas pensé, on a osé l’impensable. Être le seul moyen fut le seul argument, n’avoir pas le choix fut le seul choix. Faute de prévenir, bien impossible à guérir. Avoir tout pour bien faire ne veut pas dire qu’on le fasse. Paresse ou avidité, ignorance ou aveuglement, il est des excuses qui ne pardonnent pas. Pas avant bien longtemps.
Toutes les larmes ne suffiront à diluer ce malheur, toutes les sirènes ne nous empêcheront de nous noyer. Je pleure en silence, d’un drame qui ne parle pas. Il porte la paix en son nom, et c’est lui qu’on assassine. Aussi cool qu’une source, et c’est lui qu’on vient troubler. Depuis cinq ans, le Pacifique se meurt. Asphyxié de bêtise, contaminé de radiations. En juste cinq ans, le Pacifique ne l’est plus, de côte à côte.
A défaut de savoir-faire, tant de savoir-taire. A défaut d’anticipation, tant de désolation. Elle n’a pas servi, la leçon ; nous continuons à faire sans la cédille. Si seulement on avait appris, on a pris seulement le si. Le si de si jamais, pour ne croire qu’au jamais. Impossible, ciblait-on ; impensable, pensait-on. C’était le méconnaître, c’était le défier. A trop le narguer, il nous a largué. A trop l’ignorer, il nous a rogné.
Un bout de la belle bleue s’en est allé, une belle peur bleue elle nous a donné. Une seule parmi cinq cents, elle n’a pas laissé grand-chose à dévaster à ses congénères. Que restera-t-il, pour la prochaine centrale, à polluer ? Qu’aurons-nous retenu de la dernière, qui s’est emballée ? Un cadeau, bien empoisonné ; Fukushima s’est oubliée, Fukushima est oubliée… Et les autres, continuent de ronronner.
Il faudra sûrement des millions d’années pour réparer. Encore plus pour qu’on daigne s’en occuper. Comme des enfants trop occupés, comme des aveugles écervelés. On verra bien, à la prochaine pétée, et tant pis, pour les logorrhées. Combien de vie, encore torturée, combien d’années, encore dépensées ? S’il restait une vague excuse, je crains bien qu’elle se soit noyée. Dans un tsunami.
L’impossible a trouvé ses limites. J’ajouterais que, comme un malheur n’arrive jamais seul, la bêtise, elle, n’en a pas trouvé. I shame, I really do…